Voir Angkor, c’est quasiment une institution. Un passage
obligé. Un périple effectué chaque année avec une religiosité (si l’on me
pardonne ce terme) inaltérable par des milliers de voyageurs.
Pour beaucoup, il est impensable d’aller au Cambodge sans
voir la splendeur des temples d’Angkor.
Pas pour moi. Je me fous d’Angkor. Littéralement. Je ne suis
pas ici pour ça.
Mon voyage n’a jamais eu pour but de visiter les « incontournables »
trésors Khmers. Aussi spirituels soient-ils. Je ne voyage pas pour visiter ce
qui m’entoure, mais pour visiter ce qui est en moi. Je voyage pour fléchir sur
moi, pas pour me redresser vers les autres.
Je voyage pour être. Pour tenter de ressentir ce que Romain
Rolland appelait le « sentiment océanique ». Ou encore l’expérience du « Sublime »
relatée par bon nombre de Philosophes (je préfère la version de Schopenhauer). Cette
sensation d’être dans un tout. De plonger dans une réalité qui dépasse l’entendement
et qui, de fait, rend les mécanismes de l’imagination totalement absconds. Soyons
franc : je ne l’ai pas encore trouvé. Mais je l’ai frôlé. Je l’ai senti. C’était
à ma portée. C’est un début.
Je voyage parce que je
ne voulais plus me résigner à vivre entre mes quatre murs et me contenter de
rêver en consommant des images. Je voyage parce que je voulais m’aligner sur
mes rêves de gamins – nos rêveries de mômes ont cette noblesse que n’auront
jamais celles des adultes.
Depuis presqu’un mois, je voyage au jour le jour. Ne sachant
jamais où je dormirais le lendemain, ni dans quelle province j’irai ni comment
y parvenir. Pas de préparation, pas d’assurance, pas de filet de sécurité. Je
vais au gré du vent, un coup, au Nord, un coup au Sud. Je voyage sans cette
facilité qui rend l’existence tiède : circuit organisé, hôtel prépayé,
repas prévu, itinéraire arrangé, accompagnement professionnel… Ce genre de trip
n’est pas pour moi car il incite à rester en surface, à passer à côté des
choses. Il incite au voyage paresseux et rassurant. Périple inodore et
incolore.
Je suis parti comme on fuit (L’éloge de la Fuite d’Henri
Laborit est un de mes livres de chevet), non pas pour me trouver (je sais qui
je suis) mais pour me réinventer. Construire une autre existence. Un autre
Goblas. L’ancien a suffisamment vécu. L’amorce a déjà été faite, il y a
plusieurs mois (je me comprends). Le voyage n’en est que la suite logique. La
solitude en est la condition inaltérable : on ne peut se changer que seul,
loin du regard et du jugement des autres. Je voyage aussi pour revenir. Un peu plus vieux de quelques jours. Peut-être pas plus « sage », mais peut-être plus conscient. Peut-être plus attentif au monde et aux autres (et il faut l’être, attentif, lorsqu’on bourlingue, sous peine de se retrouver dans des misères inextricables). J’ai sans cesse avec moi cette phrase extraite du Manuel d’Epictète (un philosophe d’une étonnante sècheresse) : « S’il y a un art de bien parler, il y a aussi un art de bien entendre ». J’y travaille.
Je voyage aussi parce que je ne veux pas prendre au sérieux la réalité factuelle. Du moins, les faits tels qu’on les entend de façon paradigmatique : les factures, les impôts, la position sociale, la compte en banque, l’opinion politique, le vote, la mode et tous les colifichets sociaux imaginables. Il en est de même pour le travail. Didier H en connaît quelque chose pour avoir supporté mes opinions à ce sujet lors d’une soirée que je garde en mémoire. Que l’on ne s’y trompe pas. J’aime le mot Travail. J’ai en horreur le mot Emploi.
Je voyage parce que, comme le souligne Antoine Marcel (lisez
le « Traité de la Cabane Solitaire » de toute urgence !!), le
terme « Le recours aux forêts » (inventé par Ernst Jünger et remis au
goût du jour par Onfray) me fait un bien immédiat. Certain(e)s savent que j’ai
cette phrase sur un bracelet en cuir qui ne me quitte jamais.
Je ne verrai donc pas
Angkor. Ni Sihanoukville. Ni Siem Reap. Ni Battambang.
Je n’en ai pas besoin.
C'est la solitude du 21ème siècle, la solitude via blogspot.
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